D’Isabelle Cardis Isely, présidente des Éditions Plaisir de Lire (24 nov. 03)
Alice Curchod est née en 1907 à Lausanne où elle est décédée en 1971. Après des études à l’Ecole normale, elle se consacre à l’enseignement aux jeunes enfants. En 1949, elle quitte cette fonction pour fonder une école d’assistantes sociales et d’éducatrices, qui fusionne en 1964 avec le Centre de formation pour l’enfance inadaptée de Claude et Monique Pahud. En 1962, elle crée les Editions du Verdonnet, dont les livres sont destinés aux enfants.
Les trois romans que nous rééditons à l’occasion du 80e anniversaire des Editions Plaisir de Lire ont été publiés entre 1935 et 1951. Le Pain quotidien a été édité en 1935 chez Bonnard, à Lausanne ; L’Amour de Marie Fontanne, en 1942 , chez le même éditeur ; et Les Pieds de l’Ange en 1950 à la Guilde du livre.
Les œuvres d’Alice Curchod ont séduit plusieurs écrivains ou critiques, si l’on en croit les articles publiés lors de la parution des Pieds de l’Ange ou à la mort de l’auteure. Philippe Jaccottet a aimé écouter ces « discrètes confidences » et relève que « tous ces personnages sont peints avec une délicatesse sans fadeur (…) et quand on va aux détails, on s’aperçoit qu’ils sont presque toujours excellemment choisis, restituant avec vivacité les charmes de l’enfance et de la vie quotidienne ».
Gustave Roud loue la « fraîcheur du regard » d’Alice Curchod, qui « lui permet de nombreuses découvertes poétiques » dans la description d’un « quotidien en apparence le plus banal » : citons pour exemple la description d’un amas de vaisselle que l’on range, où l’auteur décrit « des tasses se tournant toutes du même côté, leur petite main sur la hanche ». Rien n’est plus dépouillé et plus nu que son texte, à croire que l’auteure a fait tacitement vœu de simplicité perpétuelle, tout en choisissant les mots les plus justes et les moins « voyants ». La diction est faite d’une succession de rythmes brefs, de phrases dont chacune se tait dès qu’elle a dit ce qu’elle avait à dire, si allusive parfois qu’elle semble côtoyer, prêt à le rejoindre, le silence.
Cependant, l’hommage le plus vibrant lui a été rendu par Alice Rivaz dans Ce nom qui n’est pas le mien (Bertil Galland, 1980). Elle y compare l’écriture de son amie, « art baigné de silence », à des lavis japonais « où les plumes et les pinceaux semblent s’être à peine posés sur le papier, afin que les blancs, eux aussi, y respirent ». Alice Curchod ne nous raconte pas une histoire, mais un « poids de vie qu’elle nous invite discrètement à porter avec elle, celui des plus démunis ». Ses mots sont égrenés comme autant de petits cailloux blancs, tout au long de ses itinéraires secrets. Ceux-ci ouvrent sur « les trésors à la fois dérisoires et sans prix d’une enfance et d’une jeunesse qui n’ignorèrent ni les privations du corps ni celle du cœur ».
Ainsi, après une (trop) longue période d’oubli, allons-nous à notre tour, lecteurs contemporains, redécouvrir cette auteure dont l’écriture nous surprendra peut-être, dont les personnages nous charmeront certainement et dont l’atmosphère des textes hantera pendant longtemps nos mémoires.