« Je poussai la ventilation. À mesure de notre descente, la chaleur n’avait cessé de croître. Heure après heure, nous approchions du fond de la vallée pour venir à bout, depuis Tunja, de plus de mille huit cents mètres de dénivellation. Nous quittions peu à peu la Cordillère orientale. Chaque mètre en aval alourdissait le manteau de végétation et le métamorphosait : la couverture glauque de feuillus fit place aux cactus géants enracinés dans la rocaille. D’innombrables fleurs aux couleurs vives remplissaient les abords des palmeraies que nous traversions. Dans les villages, des badauds se réfugiaient sous les flamboyants déployés en parasol. Plus loin, la route nous emmenait aux abords d’une haute futaie colonisée par les plantes épiphytes et les orchidées.
Sur notre gauche, tortueux, coulait le Río Suarez. Il charriait sans faiblir ses quintaux de boue et de minéraux arrachés aux Andes pour, ensuite, se jeter dans le Río Magdalena qui endosserait, à son tour, le fardeau jusqu’à Barranquilla et la mer des Caraïbes, au rythme de la bachata[1]. Les parcelles cultivées dessinaient une immense couverture de mosaïque qui tapissait la plaine jusqu’aux flancs de la montagne. Çà et là, un hameau ou une ferme isolée. La présence de l’homme demeurait discrète.
– Prodigieux ! s’exclama-t-elle, admirative.
– Mais vous avez aussi des montagnes en Suisse, dis-je.
– Bien sûr, mais elles sont différentes. Chez moi, les sommets sont froids… acérés. Le relief, ici, est doux et accueillant. «
[1] Musique et danse, au rythme langoureux, originaires de la République dominicaine
- © Michel Diserens
Les Funambules de l’indifférence, roman de Michel Diserens, parution fin mai chez Plaisir de Lire